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Des Dauphins et des Hommes… quelle cohabitation ?

Des Dauphins et des Hommes 

Etude d’impact éthologique sur les populations de grands dauphins (Tursiops truncatus)
de la passe de Tiputa (Atoll de Rangiroa – Archipel des Tuamotu – Polynésie française ) : Evaluation de l’impact des activités écotouristiques

   Réalisée par
Dr BENET Agnès, Biologiste marin

Pour la Direction de l’environnement de la Polynésie française

Mots clés :
Tursiops truncatus, étude comportementale, pression anthropique, Rangiroa

Résumé :

Créé en 2002, le Sanctuaire des Mammifères Marins de la Polynésie française est l’un des plus grands au monde avec une surface océanique de près de 5 millions de kilomètres carrés. À l’heure actuelle, une vingtaine d’espèces de baleines et de dauphins a été recensé sur ce territoire vaste comme l’Europe, ce qui caractérise une diversité biologique élevée.

Espèces emblématiques, les mammifères marins suscitent depuis toujours un intérêt pour le public. Cet attrait contribue par ailleurs depuis plusieurs années au développement d’une forme de tourisme « nature » appelé « whale-watching » qu’on peut traduire par « observation de mammifères marins dans leur milieu naturel ».

Les grands dauphins (Tursiops truncatus) trouvent régulièrement résidence dans la passe de Tiputa sur l’atoll de Rangiroa, dans l’archipel des Tuamotu, ce qui attire l’attention des passionnés. Ces cétacés viennent jouer, se reposer, se sociabiliser et pêcher. Ils sont également réputés pour leur comportement indifférent voire de rapprochement auprès des plongeurs parfois tentés de les « caresser ». Mais qu’en est-il réellement ? Ces interactions de l’Homme avec les dauphins ont-elles un impact sur le comportement des dauphins ?

Dans ce contexte, il est donc apparu essentiel de réaliser un état des lieux des activités pratiquées et un éthogramme des actions de l’Homme avec les dauphins, corrélé aux réponses comportementales des dauphins.

Ainsi, une étude d’impact des activités écotouristiques de surface et en plongée sur les Tursiops truncatus dans la passe de Tiputa à Rangiroa a été réalisée en 2018 pour la Direction de l’Environnement. Les résultats alimentent la base de données du Pays permettant une gestion appropriée à cette situation spécifique à la passe de Tiputa pour cette espèce si particulière. L’intégralité de l’étude est à la DIREN dont voici une synthèse. L’ensemble est consultable à la DIREN de Papeete.

Quelques résultats synthétisés et vulgarisés : 

1. Comportement des plongeurs et réponse comportementale des dauphins

Nous constatons des cohésions sociales de type II et III instables. En effet, une partie des individus se dispersent à la vue des plongeurs pour se rapprocher d’eux avec ou sans intervention de l’Homme (40%).
Pendant nos plongées, les dauphins ont présenté un comportement majoritairement de sociabilisation (55%) pour 20% de repos, 15% de déplacement et 10% de comportement alimentaire. La présence quotidienne de l’Homme à heures régulières et sur les mêmes sites n’influence t-elle pas ce comportement ?
Dans 23% des observations, les dauphins cherchent eux-mêmes le contact avec les plongeurs. Nous observons 2 voire 3 dauphins particulièrement en demande d’interactions avec les plongeurs. La majorité des dauphins restent donc distants bien que présents quelques minutes dans l’entourage de la palanquée.
Lors de nos observations, les plongeurs observés sont 39% à caresser les dauphins, 22% les gratent, 17% s’accrochent à la nageoire dorsale, 17% les pourchassent, 6% s’accrochent aux nageoires pectorales.

Chaque action provoque une réaction. Celle-ci peut être neutre ou exprimer un dérangement. Ainsi, nous constatons que les réponses d’évitement des dauphins sont produites majoritairement à l’issue des actions de s’accrocher aux nageoires pectorales (100%) et à la pourchasse (67%). Les fuites des Tursiops sont quant à elles observées majoritairement en réponse correspondant à l’action de s’accrocher à la nageoire dorsale (67%). Les actions de grater et de caresser entrainent des réponses comportementales d’indifférence à 71%. 

2. Toucher ou pas toucher ?

Les cellules épidermiques des dauphins emmettent de minuscules goutes d’huile et d’hydrate de carbone qui peuvent s’étaler sur la peau permettant une lubrification de la peau. Cela favorise le glissement de l’eau sur la peau pour un meilleur hydrodynamisme. Les cellules de l’épiderme se renouvellent plusieurs fois par jour.

Pour autant, comme les humains, les dauphins sont des mammifères. A ce titre, certaines maladies communes sont transmissibles des cétacés à l’Homme et inversement.

Bien que les cas recensés de transmission de maladies soient rares, la constante augmentation des contacts rapprochés entre humains et mammifères marins (rencontres avec des dauphins ambassadeurs, programme de nage avec des dauphins captifs…) accroît d’autant le nombre potentiel de personnes exposées aux zoonoses. Il est donc essentiel de vérifier si des individus des sous-groupes sont porteurs ou porteurs sains. Selon les témoins, l’un d’entre eux aurait une tâche circulaire près de la nageoire pectorale gauche et l’autre aurait une grande tache longiligne le long du dos. Il s’agirait de mâles dont le mâle dominant. Une surveillance est conseillée pour approfondir les observations.
Pour ces raisons, il est déconseillé de toucher les cétacés, particulièrement les femmes enceintes. 

En Bref…

Même si le dauphin présente des comportements assimilés à une demande de contact, il faudra veiller à éviter absolument de toucher certaines zones de son corps : les yeux, l’évent, les parties génitales, et le melon (le front). Si on comprend aisément pourquoi éviter ces parties, celui du melon doit attirer notre attention. Des observations ont montré des dauphins réagissant nerveusement voire avec agressivité en cas de tapotement sur leur front. Cela créé probablement des petits chocs interférant avec leur système d’écholocation.

D’autre part, il est à noter que de nombreuses observations dans le monde montrent que les animaux fortement anthropisés sont davantages soumis aux risques d’accidents du fait d’une baisse de vigilance de leur part. La mise en place de protection d’hélice est donc vivement recommandée pour éviter tout risque d’accidents en surface.

Au regard de tous ces résultats, l’amélioration des connaissances et la mise en place d’un suivi de cette population de grands dauphins est souhaitable dans le but d’une gestion durable appropriée. 

Remerciements :
L’équipe tient à remercier tous les clubs de plongées pour leur très bon accueil et pour nous avoir accordés leur confiance tout en apportant leurs remarques constructives pour l’avenir, sans oublier notre référent de Rangiroa, Vaea, toujours près à rendre service !

Etude réalisée pour la Direction de l’environnement, 2018.